Collaborer avec des (faux ?) independants

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Dans le contexte de la lutte contre la fraude sociale le phénomène du faux indépendant est également visé d’une manière particulière. Pour un nombre de profession la collaboration sur une base indépendante est largement répandue. Mais, sont-ils vraiment des « indépendants » ? La collaboration avec un faux indépendant risque de coûter cher à l’employeur caché en cas d’une requalification (par exemple à l’initiative de l’ONSS). Il faut donc dès le départ se montrer attentif à la façon dont on structure cette collaboration ! 

Qui est faux indépendant ?

Un faux indépendant est une personne qui exerce ses activités professionnelles comme un « soi-disant » indépendant, mais qui travaille en réalité comme un travailleur.

En principes, les parties déterminent elles-mêmes la manière à laquelle elles travailleront ensemble, soit en qualité d’employeur / travailleur, où l’employeur exerce l’autorité sur le travailleur, soit dans le contexte d’une collaboration indépendante. Le principe est donc : la volonté des parties fait la loi (mais cette volonté des parties ne peut évidemment pas contrer des présomptions légales irréfutables). Ce principe – la volonté des parties fait la loi – est inscrit dans la loi sur les relations de travail et correspond avec les dernières décisions de la Cour de Cassation. 

La volonté commune des parties est donc importante (le point de départ nécessaire), mais n’est pas toujours déterminante : conformément à la jurisprudence de la Cour de Cassation, la loi sur les relations de travail prévoit, en effet, d’une manière explicite qu’en cas de contradiction entre la qualification, choisie par les parties, d’une part, et la qualification résultant de la manière à laquelle les parties travaillent effectivement ensemble, d’autre part, cette dernière qualification prévaut. En d’autres termes, ce n’est pas parce que les parties ont prévu explicitement que l’exécutant de la mission travaillera comme indépendant que tout est réglé. L’exécutant de la mission doit aussi travailler réellement comme indépendant.

 

Comment le faux indépendant est-il détecté ?

Afin de déterminer si la volonté des parties est réellement conforme à la manière à laquelle les parties travaillent ensemble en pratique, trois éléments sont importants aux termes de la loi sur les relations de travail (les trois critères généraux):

-   l’exécutant de la mission organise librement son temps de travail ;

-   l’exécutant de la mission organise lui-même le travail à son propre gré ;

-   le donneur d’ordre n’a pas le droit d’exercer un contrôle hiérarchique : une référence claire et nette à la distinction traditionnelle entre une collaboration indépendante et une collaboration employeur/travailleur : le droit d’une partie (l’employeur) d’exercer l’autorité sur l’autre partie (le travailleur).

 

Qui doit prouver quoi ?

En principe, la partie qui prétend quelque chose, doit en apporter la preuve. La situation est différente si une présomption (réfutable ou irréfutable) a été créée par (ou sur base d’) une loi : un exemple type d’une présomption réfutable est le représentant de commerce : il est prévu par la loi qu’une personne, qui exerce les tâches d’un représentant de commerce, et présumée être un travailleur, sauf la preuve du contraire.

L’utilisation de cette technique de la présomption réfutable est rendue largement possible par la loi sur la relation de travail dans la lutte contre la fausse indépendance : des critères peuvent être fixés pour des secteurs, professions, catégories professionnelles ou activités professionnelles ; si un partenariat indépendant ne répond pas à (un nombre de) ces critères, il est présumé qu’un tel partenariat constitue une relation employeur-travailleur, sauf preuve du contraire par une/les partie(s) : un système flexible permettant de déterminer les critères en fonction du secteur, profession, catégorie professionnelle ou activité professionnelle visé.

Depuis août 2012 de tels critères (9 au total) ont été déterminés par la loi sur la relation de travail même pour quatre secteurs :

-   le secteur de la construction et les secteurs connexes, tel que la livraison et l’installation de chauffage centrale, électricité, appareils divers, revêtement mural et revêtement du sol ;

-   le secteur du nettoyage ;

-   les services de surveillance et/ ou des services de garde pour le compte de tiers ;

-   le transport de choses et ou personnes pour le compte de tiers (à l'exception des services d'ambulance et le transport de personnes avec un handicap). 

Si il résulte d’une analyse qu’au moins la moitié de ces critères s’applique à un partenariat indépendant, la présomption réfutable que le partenariat constitue une relation d’emploi est applicable.

La loi sur la relation de travail prévoit également la possibilité de fixer des critères spécifiques par AR pour d’autres secteurs, professions, catégories professionnelles ou activités professionnelles. A présent, plusieurs arrêtés royaux ont été publiés dans le Moniteur Belge en application de cette possibilité.  

 

Faire appel à la “Commission administrative de règlement de la relation de travail” (ci-après la “Commission-relation de travail”)

Evidemment, les parties, qui organisent un partenariat indépendant, peuvent avoir des doutes que leur partenariat « indépendant » puisse survivre à une analyse approfondie et ne soit qualifié comme une relation employeur-travailleur.

Les parties ont la possibilité d’obtenir plus de sécurité à cet égard en faisant appel à la Commission-relation de travail, qui a été créée par la loi sur la relation de travail. Une partie (ou les deux parties) sait le faire avant le début de la collaboration effective ou dans l’année suivant le début de la collaboration.

Une Chambre Néerlandophone et une Chambre Francophone se prononce sur la question si une collaboration est de nature indépendante ou constitue une relation employeur-travailleur. Un appel contre la décision de la Commission-relation de travail peur être introduit auprès du tribunal de travail dans le mois suivant la décision. La décision est valable pour trois ans et lie les organismes en matière de la sécurité sociale. Elle ne lie pas les tribunaux ou les cours.

La Commission-relation de travail rend sa décision sur base des documents et information soumis par les parties, le cas échéant complétés par des documents et information soumis à la demande de la Commission-relation de travail et information fournie par les parties à l’occasion d’une audience. 

Au moment de la rédaction de ce newsletter, la Commission-relation de travail a rendu une décision dans presque 200 cas. Quelques cas fréquents nous apprennent le suivant :

-   le fait que les parties se sont mariées, n’exclut pas une relation employeur-travailleur ; l’épouse qui travaille (part-time) comme secrétaire pour son mari-dentiste (ou vice-versa), peut le faire en qualité d’employé ;

-   le fait qu’une personne est actionnaire de la société-donneur d’ordre, n’exclut pas la possibilité que cette personne travaille pour cette société comme travailleur, dans la mesure où cette personne ne détient pas un nombre d’actions de contrôle dans la société ;

-   le fait que l’exécutant de la mission opère par l’intermédiaire d’une société de management, qui sert de tampon entre les deux parties, n’exclut pas la qualité de travailleur, dans la mesure où il s’avère qu’en réalité la collaboration personnelle de l’exécutant de la mission est visée.

 

L’employeur démasqué paie les pots cassés

Si un partenariat indépendant est requalifié comme une relation employeur-travailleur, le donneur d’ordre (l’employeur) est tenu responsable, tandis que l’exécuteur de la mission (le travailleur) reste hors d’atteinte : le nouvel employeur devra payer les cotisations de sécurité sociale pour une période de trois ans au maximum. Il s’agit des cotisations patronales, ainsi que des cotisations à charge du travailleur et l’employeur n’a pas la possibilité de réclamer au nouvel travailleur le remboursement de ces dernières cotisations. Ajoutez à ça l’augmentation forfaitaire équivalente à 10% et les intérêts (toujours 7% l’an) et l’ampleur de la catastrophe potentielle est facilement estimée.

Mais ce n’est pas tout, parce que le nouveau travailleur peut également passer à la caisse, et ce pas uniquement pour une indemnité en lieu de préavis (en cas de rupture de la collaboration), mais aussi pour les montants auxquels il avait droit en qualité de travailleur, tel que le pécule de vacances, le salaire pour les jours fériés, et les avantages prévus par les conventions collectives de travail rendues obligatoires, comme la prime de fin d’année, les adaptations du salaire en exécution du règlement sectoriel en matière d’indexation, etc. Et il peut réclamer ces montants pour toute la période de la collaboration, à partir du début.

Par conséquent, la facture totale de l’employeur démasqué s’élève facilement à plusieurs dix mille, sinon cent mille, euros.

Bien réfléchir avant de lancer un partenariat indépendant vaut donc bien la peine, parce que le risque que le partenariat indépendant est mis sur la sellette n’est pas minime : pas seulement l’ONSS a la possibilité de prendre une telle initiative, mais également une visite de l’inspection sociale / l’inspection de travail peut donner lieu à un examen compromettant. De plus, les organismes en charge du paiement des allocations de sécurité sociale peuvent tout gâcher. Et, last but not least, également le (faux) indépendant même a la possibilité de faire appel au juge, nonobstant le fait qu’il a participé au jeu pendant toutes ces années (ceci arrive assez souvent à l’occasion d’une rupture du partenariat indépendant par le donneur d’ordre)

 

Conclusion

Malgré les risques il semble être une pratique courante qu’une collaboration (quasi exclusive, fulltime) avec un nombre de professions (comptables, IT-experts, managers, …) est structuré comme un partenariat indépendant, avec ou sans une société de management, qui sert de tampon entre les deux parties. Mais, comme déjà mentionné ci-dessus, même l’utilisation d’un tel tampon ne donne pas des garanties en béton : une équipe de football réputée en est bien au courant depuis la requalification du contrat avec la société de l’entraineur comme un contrat de travail avec l’entraineur à titre personnel.

Une rédaction bien réfléchie d’un tel contrat reste une condition préalable au succès. Vu les risques et les moyens souples de combat, il est, plus que jamais, essentiel de bien structurer et étayer les partenariats indépendants comme alternatif pour la collaboration traditionnelle employeur-travailleur ! 

 

Marcel HOUBEN  -  marcel@houben-hrlegal.eu

 

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