Remplacer un travailleur en incapacité de longue durée. Attention, un problème de discrimination se profile au coin de la rue!
Le bon fonctionnement d’une entreprise exige que le vide laissé (involontairement) par un travailleur en incapacité de longue durée soit rempli. Mais, comment le faire pour le mieux comme employeur ?
Un travailleur intérimaire par l’intermédiaire d’un bureau d’intérim est une solution évidente, mais chère. D’autres options ?
Attention ! Un problème de discrimination se profile au coin de la rue. Un employeur de la région de Louvain l’a appris à ses dépens.
Une employée fait savoir à son employeur qu’un cancer a été diagnostiqué chez elle. L’employeur la remplace par l’engagement d’une autre personne à durée indéterminée.
Mais quoi faire comme employeur si le travailleur a la chance de vaincre la maladie et vous fait savoir en euphorie qu’il veut retourner au travail … Pouvez-vous, comme employeur, atténuer l’euphorie du travailleur et le mettre à la porte ? La Cour de Travail de Bruxelles ne le pense pas.
Que s’était-il passé ?
L’employeur qui exploite une chaine de magasins de 14 établissements au total, reçoit la nouvelle dure de la part de l’employée le 24 novembre 2012. L’exécution du contrat de travail de l’employée est suspendue pendant la période de traitement de la maladie.
En décembre 2012, l’employeur engage une nouvelle employée pour une durée indéterminée. Cette nouvelle employée remplace l’employée malade, mais cela n’a pas été mentionné lors du recrutement ni par après.
Après 21 mois, la patiente reçoit l’heureuse nouvelle que le traitement était un succès et qu’elle peut à nouveau reprendre progressivement son emploi auprès de son employeur.
Le 14 août 2014, elle prend contact avec l’employeur pour discuter des modalités de la reprise progressive du travail. Le 26 août 2014, l’employeur met fin au contrat de travail moyennant le paiement d’une indemnité en lieu de préavis. Le formulaire C4 mentionne « manque de travail adapté à ce travailleur » comme motif du licenciement.
En réponse à la demande d’obtenir plus d’explication concernant ce motif, l’employeur se réfère au recrutement d’une autre employée, à l’élargissement des tâches, au webshop, aux nouveaux produits et programmes cadres et de caisse, pour lesquels une solide formation complémentaire est nécessaire et à l’impossibilité financière de conserver deux personnes en service pour le même travail.
Le dilemme de l’employeur
Par l’engagement de la remplaçante l’employeur a assuré le fonctionnement efficace continue de son entreprise. La remplaçante est une employée dévouée et il n’y a rien à critiquer à ses prestations. Donc, pourquoi la licencier ?
En outre, le retour au travail de l’employée, qui était malade, ne peut se réaliser que graduellement et exige des aménagements au niveau de l’organisation du travail, etc. … Beaucoup de tracas et pas sans frais.
Donc, pourquoi se rendre la vie plus difficile que nécessaire ?
Le juge intervient.
La dame passe au tribunal et exige le paiement par son ex-employeur d’une indemnité de six mois de rémunération à cause de discrimination fondée sur le handicap / l’état de santé actuel ou futur.
Le Tribunal du travail de Louvain rejette sa demande mais, par son arrêt du 20 février 2018, la troisième chambre de la Cour du travail de Bruxelles déclare la demande fondée et condamne l’ex-employeur au paiement d’une indemnité de 6 mois de rémunération à cause de discrimination fondée sur le handicap.
Le cadre légal
La loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination interdit la discrimination directe et indirecte, entre autre sur le lieu de travail, fondée sur l'âge, l'orientation sexuelle, l'état civil, la naissance, la fortune, la conviction religieuse ou philosophique, la conviction politique, la conviction syndicale, la langue, l'état de santé actuel ou futur, un handicap, une caractéristique physique ou génétique ou l'origine sociale.
La discrimination s’entend entre autres le refus de l’employeur de mettre en place des aménagements raisonnables en faveur d’une personne handicapée.
Un « handicap » est décrit comme toute limitation de longue durée résultant notamment d’atteintes physiques, mentales ou psychiques et pouvant empêcher la personne concernée de participer complètement, effectivement et sur pied d’égalité avec les autres travailleurs à la vie professionnelle.
Les « aménagements raisonnables » sont les mesures appropriées, prises par l’employeur dans une situation concrète, pour permettre à une personne handicapée d'être employée et l’employeur est censé faire ces aménagements, sauf si ces mesures imposent à l’employeur une charge disproportionnée.
La position de la Cour du travail
Une différence caractéristique entre un « handicap » et une « maladie » est le caractère prolongé de la déficience qui est la cause de la limitation. Dans ce cas, la Cour du travail a jugé que les limitations en conséquence du cancer sont de longue durée et que, dans ces circonstances, il est bien question d’un « handicap » comme visé dans la législation anti-discrimination.
De plus, la Cour du travail a jugé que, dans ce cas, l’employeur avait manqué à tort de mettre en œuvre des aménagements raisonnables, en d’autres termes, que les aménagements raisonnables qui auraient permis à l’employée de reprendre progressivement le travail, ne causaient pas une charge déraisonnable pour l’employeur. La Cour tient à cet égard compte entre autres des éléments suivants :
· L’employeur dispose de 14 établissements et n’a pas démontré qu’un travail adapté n’était possible dans aucun de ces établissements ;
· Des changements opérationnels se produisent souvent dans une entreprise et ne peuvent pas être un empêchement pour un réemploi progressif ; une formation complémentaire est une donnée normale dans ces circonstances et la mesure indiquée pour accueillir ces évolutions afin de rendre possible pour l’employée le retour au travail;
· L’employeur était rentable financièrement les années précédentes et il n’y avait par conséquent aucune nécessité économique de licencier quelqu’un et les adaptations (rythme de travail, formation …) n’étaient pas une charge déraisonnable.
Quelques réflexions
Il convient de souligner que l’employeur en question n’était pas, c’est le moins que l’on puisse dire, l’exemple d’une approche RH contemporaine et humaine : licencier immédiatement comme cela une employée, qui a combattu et vaincu une maladie comme le cancer après 21 mois, quelques jours après qu’elle ait annoncé à son employeur qu’elle était à nouveau prête à retourner progressivement au travail, n’est pas un exemple de politique RH humaine.
Le fait que la Cour du travail ait tenu compte du fait que l’employeur dispose de 14 établissements pour donner du travail adapté à l’employée est remarquable, en particulier vu le fait que ces établissements sont dispersés sur toute la Flandre. Ainsi, il est suggéré qu’un travail adapté au sein d’un établissement constitue un travail adapté, quel que soit l’emplacement de l’établissement. Donc, également si l’établissement est situé en Flandre-Occidentale, et ce pour une employée qui habite dans la région de Louvain et travaillait dans cette région ?
Le fait que la Cour du travail ait tenu compte du caractère bénéficiaire des activités de l’employeur est également un élément remarquable.
Le remplacement d’un travailleur en maladie de longue durée est, à la lumière de cet arrêt, un problème délicat. Si le remplaçant est engagé avec un contrat de travail à durée indéterminée, comme en l’espèce, alors l’employeur est obligé par cet arrêt d’employer deux travailleurs pour un seul job ou d’opter pour le licenciement du remplaçant.
Il y a, évidemment, bien une solution : au lieu d’un contrat de travail à durée indéterminée, le remplaçant peut également être engagé sous contrat de remplacement ou il peut être employé par l’intermédiaire d’une agence d’intérim. Mais ces solutions ne sont pas nécessairement idéales: intérim est une possibilité couteuse et un contrat de remplacement n’est pas une option prometteuse pour le candidat-remplaçant, parce qu’aucune sécurité d’emploi.
Dans les médias, on a insisté vivement sur le fait que le cancer était qualifié par la Cour du travail comme un handicap. Puisque le cancer a la réputation d’être l’une des maladies les plus horribles, il est naturellement compréhensible que les médias aient surtout souligné cet aspect. Mais cet arrêt ouvre la même porte pour toutes les autres maladies de longue durée.
Au moment où cette question s’est posée, l’AR du 28 octobre 2016 n’était pas encore applicable. Cet Arrêté Royal prévoit une procédure spécifique pour la réintégration de travailleurs malades de longue durée sur le lieu de travail auprès de leur employeur. Naturellement, cette procédure doit être respectée maintenant.
La législation qui interdit la discrimination sur le lieu de travail (et ailleurs) était – contrairement aux pays anglophones - pendant longtemps pratiquement lettre morte dans l’univers RH belge. Depuis quelques années la situation a changé. L’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 20 février 2018 en est un exemple. Faire attention à la législation anti-discrimination est donc, de plus en plus, le message !
Nous restons évidemment volontiers disponibles pour toute information ou assistance désirée.
Marcel Houben – marcel@houben-hrlegal.eu